• DYKSTRA Steven W., « The artist’s intentions and the intentional fallacy... »

      

    DYKSTRA Steven W., « The artist’s intentions and the intentional fallacy in fine arts conservation », in Journal of the American Institute for Conservation, vol. 35, n°3, article 3, 1996, pp 197-218

     

     

    Au 19ème siècle les avancées scientifiques permirent l’analyse des œuvres d’art : identifier les matériaux originaux de l’artiste, les distinguer des ajouts postérieurs, anciennes restaurations… Il s’ensuivit au 20ème siècle l’idée de retrouver l’œuvre qui avait été voulue et pensée par l’artiste, grâce à la restauration.

     

    Durant ce siècle dernier, le positivisme (défenseur de l’idée que les faits scientifiques, les lois naturelles,… sont les racines de la vérité) et l’antipositivisme (défenseur de la validité de l’expérience humaine) s’opposèrent souvent. Certains disaient que l’intention de l’artiste n’est pas un critère valable pour l’étude des œuvres d’arts.

    C’est ainsi que les restaurateurs se séparèrent en deux clans : les restaurateurs esthétiques et les restaurateurs scientifiques…

      

    © 2011 Julie-Potosniak – Tous droits réservés 

     

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    La mortalité de la matière : le problème sous jacent

     

    Le temps est à la source de notre problème : il altère ou détruit les matériaux choisis par l’artiste à l’origine. Les couches picturales s’écaillent, les toiles se détendent, les pigments métalliques s’oxydent, etc… ; de plus les œuvres ont parfois été restaurées, réinterprétées. Nous en sommes tous conscients.

    Les matériaux que l’artiste aura employés ne seront jamais éternellement durables ; et ceux du conservateur-restaurateur non plus. En outre, nous ne pouvons pas véritablement prévoir ce qu’il adviendra de ces matériaux dans le futur ni contrôler totalement leurs altérations. Même une œuvre à l’abri de la poussière, des stress environnementaux, des accidents ne peut pas échapper à l’altération chimique.

     

    L’intention de l’artiste ne peut être séparée de la matérialité de l’œuvre qui est son support nécessaire. Et de cela découle un paradoxe : la matérialité n’est pas éternelle tandis que l’intention de l’artiste ne peut pas se détériorer. Les matériaux altérés ne sont donc plus fidèles à l’intention de l’artiste.

     

    Le positivisme et les intentions de l’artiste

     

    Le développement de la préservation et l’utilisation de la physique et chimie permirent de distinguer la nouvelle discipline de la conservation-restauration d’œuvres d’art de la vieille tradition de restauration dans le passé. Du point de vue du positiviste, les intuitions, suppositions, sentiments,… sont des solutions incertaines pour l’étude des œuvres d’art ; la connaissance « positive » se base sur la science empirique.

     

    Mais, même si les sciences sont maintenant indispensables à la formation des conservateurs restaurateurs, elles ne peuvent pas être non plus une approche exclusive. Les sciences sont des outils. De nombreux conservateur-restaurateurs, historiens de l’art, critiques défendent aussi l’idée que les sciences et l’esthétique doivent être considérées à importance égale pour les traitements de conservation-restauration. Et c’est seulement ainsi qu’ils pourront progresser.

     

    La « fausse idée intentionnelle » : intentionnalisme contre anti-intentionnalisme

     

    La « fausse idée intentionnelle » (titre d’un essai de Wimsatt et Beardsley publié dans Sewanee Review en 1946), est le fait de considérer, à tort, l’intention de l’artiste comme une base pour l’étude des œuvres d’art, car nos interprétations scientifiques, critiques, historiques à ce propos sont dépendantes de nos propres pensées, et qu’on se trompe bien sûr si on croit que celles de l’artiste sont nécessairement similaires aux nôtres.

     

    Pour les anti-intentionnalistes, l’intention de l’artiste doit se trouver au sein même de l’œuvre. Essayer de trouver des intentions autre part est finalement s’éloigner de l’œuvre à la poursuite de spéculations psychologiques. Les positivistes étaient anti-intentionnalistes.

     

    Pour les intentionnalistes, la personnalité, l’intellect, l’état psychologique et l’inspiration créatrice de l’artiste s’introduisent dans l’œuvre qu’il crée. S’en préoccuper n’est pas s’éloigner de l’œuvre mais s’en rapprocher. Les interprétations artistiques, esthétiques et historiques doivent donc être considérées pour les traitements de conservation-restauration. Les antipositivistes étaient intentionnalistes.

     

    Les différences de signification de l’intention de l’artiste

     

    Richard Kuhns (1960), dans “Criticism and the Problem of Intention », identifia 11 variations de signification du terme intention. Tous ces termes reliés à l’intention de l’artiste montrent comment il est difficile de parler de cela comme d’un sujet général, ainsi que l’ambiguïté parfois du terme « intention ».

     

                Les motifs biographiques

     

    Quand les conservateurs, critiques, historiens de l’art étudient une œuvre d’art avec la perspective de l’intention de l’artiste, ils cherchent des influences artistiques, historiques, politiques, économiques, voir romantiques dans la vie de l’auteur.

    Le conservateur-restaurateur, confronté à la matérialité de l’objet, doit mettre la vie et la carrière de l’artiste entre parenthèses par rapport aux spécificités de son produit créatif.

     

                Buts / résultats

     

    Quand on considère que l’artiste vise un résultat, on conçoit alors la création artistique en deux parties : la formulation d’une idée dans la tête de l’artiste qui se matérialise ensuite dans la réalisation de l’œuvre au moyen de matériaux choisis par l’artiste.

    Partir dans les traitements avec cette perspective, dans le but de respecter l’intention de l’artiste, peut amener à des contresens. En effet, il est rarement établi que des craquelures, couleurs fades ou autres effets de l’âge puissent être corrélés au but original désiré. Ces conceptions peuvent alors justifier l’enlèvement ou la compensation de ce que nous interprétons comme altérations, même si elles avaient pu être voulues par l’artiste.

     

                Un support pour l’expression

     

    Une fois le support choisi pour l’expression de son idée, l’artiste devra admettre qu’il aura peut-être à adapter celle-ci aux matériaux utilisés. Dans cette perspective, un repenti est seulement une étape accidentelle dans la création de l’artiste.

    Le conservateur-restaurateur se retrouve dans la situation où il doit décider de quelle manière la condition du support représente l’intention de l’artiste, c'est-à-dire s’il doit laisser ses altérations ou les compenser.

     

                L’esprit créatif inhérent à l’œuvre

     

    Une autre possibilité est de considérer que les intentions de l’artiste sont d’une manière générale délibérées, pas comme dans les deux cas précédents. L’œuvre d’art provient alors d’une personne créative utilisant des matériaux contrôlables.

    Alors tout effet, couche de peinture, appliqué n’importe comment ou de manière contrôlée auront une importance égale ; les repentis dans ce cas là ne sont plus considérés comme tels.

    Dans cette perspective, le conservateur-restaurateur privilégiera la préservation de l’œuvre ; seulement les altérations les plus gênantes seront traitées.

     

                Le discours de l’artiste

     

    L’œuvre d’art peut être aussi considérée comme le support d’un discours, de la même manière qu’un texte littéraire.

    Les conservateur-restaurateurs, critiques, historiens de l’art,… risquent, en utilisant leurs propres mots pour faire parler l’artiste, de faire entrer en jeu une fausse idée intentionnelle.

     

                Le récit de l’artiste

     

    Une œuvre d’art par elle-même exprime quelque chose, mais seul l’artiste lui-même peut expliquer ce qu’il a voulu exprimer.

    D’un autre coté, laisser toute l’autorité d’un artiste sur la signification de son œuvre dénie le rôle de l’œuvre elle-même, du contexte artistique, du rôle du spectateur qui a ses propres interprétations subjectives.

    Les conservateur-restaurateurs, critiques, historiens de l’art,… ne sont pas en fait obligés de prendre les explications d’un artiste sans se poser eux-mêmes de questions.

     

                Le caractère expressif de l’artiste

     

    Une œuvre d’art est un reflet de la personnalité d’un artiste, de son caractère.

    Pour le reconnaître, on doit faire preuve d’intuition personnelle, de perspicacité psychologique ; mais ceci n’est pas le premier problème du conservateur-restaurateur face à l’œuvre d’art. Il doit plutôt comprendre la portée et la fonction de l’esprit à l’origine de cette œuvre ; c’est pour lui la question la plus profonde à propos de l’intention de l’artiste.

     

                L’expression esthétique de l’œuvre d’art

     

    L’œuvre d’art est parfois considérée comme un tout. En effet, même si elle est une chose inanimée, la tendance prédominante est de trouver en elle une entité expressive.

    Cette perspective supporte l’idée que l’œuvre d’art est un discours potentiel, qui ne demande qu’à communiquer avec le spectateur. Si le spectateur est indispensable pour qu’elle satisfasse son rôle d’œuvre d’art, des mesures de conservation-restauration amélioreront l’accès à ce discours.

     

                L’appel de l’œuvre d’art pour la référence et caractérisation

     

    L’œuvre d’art peut avoir sa propre intention car elle demande au spectateur de la caractériser et la classifier.

    Ceci peut être dangereusement séduisant. Le conservateur-restaurateur pourrait vouloir améliorer l’état de la peinture pour la rendre conforme à la période à laquelle elle a appartenu.

    D’une manière générale, cette perspective défend l’idée que les périodes historiques, les styles esthétiques et les genres d’art ont des intentions qui vont au-delà de celles de l’artiste lui-même.

     

                L’agencement esthétique de l’œuvre d’art

     

    Dans les théories de l’art idéalistes, l’œuvre d’art possède en elle-même une capacité à rendre un effet particulier : spirituel, émotionnel, psychologique, social, politique, optique, visuel, décoratif, ornemental.

    Cette perspective est la plus commune concernant le terme intention. C’est pourquoi on va dire que l’œuvre « fonctionne » mieux avec telle lumière, cadre, environnement…

    Mais l’œuvre d’art rendant parfois plusieurs effets, il est alors difficile de trouver son intention esthétique exacte.

    Le conservateur-restaurateur doit faire la différence entre les caractéristiques artistiques (qualités techniques de l’œuvre) et les caractéristiques esthétiques (signification et beauté des différents effets créés par l’œuvre).

     

                L’intention morale de l’œuvre d’art

     

    Beaucoup d’œuvres d’art connurent des modifications comme les voiles de pudeur. Les conservateur-restaurateurs se retrouvent alors confrontés aux intentions morales et à la décision de conserver ou enlever ces ajouts.

     

                Le résultat de l’analyse de Kuhns

     

    Même après ces études, certaines questions demeurent :

    -         s’il y a intention de l’artiste, quelle est son importance ?

    -         que connaît-on avec certitude de son intention ?

    -         comment on a eu connaissance de son intention ?

     

     

    Le rôle de l’artiste

     

    La confusion et l’ambiguïté qui règne autour de l’intention de l’artiste et de la fausse idée intentionnelle  montre le manque de clarté au sujet du rôle de l’artiste dans son œuvre.

     

                L’autonomie de l’œuvre d’art : le processus et phénomène de distanciation

     

    Comme arts du discours, les œuvres d’art ont 4 moyens de se distancier :

    -         à la sortie de l’atelier, l’acte-même de peindre notamment disparait

    -         ensuite, l’œuvre d’art rencontre le spectateur et s’émancipe par elle-même

    -         avec le temps, elle sort de son contexte temporel et spatial d’origine

    -         elle peut être vue sous de nouvelles perspectives pas forcément attendues

     

                La désignation de l’individualité artistique

     

    L’artiste n’est pas un simple fabricant, il devient artiste parce qu’il produit des œuvres d’art. L’artiste et l’œuvre d’art se réalisent en même temps d’une certaine manière. La signature est la marque de cette relation.

     

                Limites de l’appel à l’intention de l’artiste

     

    Ce qui est exprimé dans une œuvre d’art sont l’émotion, l’iconographie, les humeurs, les significations ; elles sont intuitivement et directement affectées à l’artiste.

    Si on veut prendre en compte l’intention de l’artiste pour la conservation-restauration des œuvres d’art, il faut alors réfléchir à son importance et les conditions d’application pour chaque œuvre.

    Le rôle de l’artiste est inévitablement relatif au rôle du support, du contexte artistique et de la réception par le spectateur. Mais ce qui relève de l’émotionnel, du psychologique et de l’intellectuel peut être associé à l’intention de l’artiste seulement à certaines conditions. Pour le conservateur-restaurateur, il sera plus sûr dans son travail de prendre en compte l’association entre l’intention de l’artiste et ses capacités techniques, sa stratégie, sa maîtrise des matériaux lors de la production de son œuvre d’art.

     

     

    Conclusion : l’application des intentions de l’artiste au travail de conservation-restauration

     

    En conservation-restauration, suivre l’intention de l’artiste peut être intéressant seulement si on se réfère à l’individualité de l’artiste exprimée dans son œuvre d’art. Dans ce cas, ce qui relève de la psychologie, des intentions sociales et intellectuelles, et de l’esthétique n’a pas à être abordé. L’étude des intentions de l’artiste ne sera pas utile à la conservation-restauration si l’investissement de l’artiste dans son travail est assimilé à des références générales, aux styles esthétiques, périodes historiques et genres artistiques ou encore aux vestiges des matériaux d’origine ; cet investissement s’exprime dans le choix des matériaux, leur préparation et leur application, pas dans leur nature-même.

    Pour appliquer les intentions de l’artiste au travail de conservation-restauration, l’interdisciplinarité entre historiens, critiques, spécialistes, philosophes de l’art, scientifiques et conservateur-restaurateurs est indispensable. De plus, un langage précis, non ambigu, compris de tous doit être prépondérant. Cette coopération entre les disciplines est nécessaire pour décrire l’individualité de l’artiste et de son travail, en conjonction avec 3 autres facteurs : le contexte historique de la production de l’œuvre, les références des spécialistes, les caractéristiques physiques et temporelles du support. Ce travail en commun pourra permettre de donner à l’œuvre d’art une vie durable et pleine de sens.

     

     


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